Ses doigts couraient sur le clavier
D' un vieux Steinway mal accordé.
Des grands virtuoses il était l' héritier,
Dans ce sous-sol très enfumé.
Â
C' était avant.....
Â
Sous ses mains si noires et desséchées,
Caressant, effleurant, martelant
Les touches de son piano bien encrassées,
S' envolait le boogie le plus délirant.
Â
Mais, c' était avant.....
Â
Sa main gauche donnait la réplique
A sa main droite si décharnée,
C' était là sa vie et sa musique,
Toute en mélodies bien syncopées.
Â
Oh oui, je me souviens, c' était bien avant.....
Â
Sa cigarette tremblotante entre ses lèvres charnues,
Son verre posé sur le bord de son instrument,
Les yeux rivés vers je ne sais quels horizons perdus,
Il semblait bien ailleurs, souriant béatement.
Â
Evidemment, c' était avant.....
Â
Jimmy Yancey était son maître,
Albert Ammons et Pete Johnson étaient des siens,
Leurs mélopées il faisait renaître,
Lui que l' on appelait simplement, le musicien.
Â
C' est loin, c' était il y a longtemps, c' était avant.....
Â
C' était avant que les hommes vêtus de cuir noir
Ne l' entraînent dans une autre cave obscure,
Avant qu' ils ne le frappent et ne le laissent choir
Sur le sol de sa geôle, sous les injures.
Â
C' était avant que ses tortionnaires
Ne brisent ses doigts et ses poignets,
Pour le punir de manière exemplaire
De n' être qu' un nègre qui jamais ne se soumet.
Â
C' était hier, mais tout ceci s' est peut-être passé aujourd' hui, à moins que mon récit ne soit qu' une vision d' un futur radieux.
Â
Jean-Claude Fissoun