A travers la vitre de mon compartiment,
Je pose mon regard creux sur le quai mal éclairé.
J' attends, lové sur la banquette, le départ imminent
De ce serpent d' acier dans lequel je suis monté.
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Je ne sais pourquoi je fixe l' horloge de la gare,
Ne sachant même pas quand ce train doit partir.
J' ai la tête vide et une seule pensée m' accapare,
Quitter cette ville, dans ce wagon m' endormir.
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Enfin, la Pacific 231 émet un long sifflement
Et soudain, je ne sais plus si c' est la pendule qui recule
Où si c' est le convoi qui s' ébranle lentement,
Laissant derrière lui cette cité noyée dans le crépuscule.
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Le passage des aiguillages me secoue violemment
Et, ni les grincements, ni les trépidations,
Ne m' empêcheront de m' assoupir sereinement
En oubliant toutes mes préoccupations.
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Il pleut dehors, la nuit m' écrase, la nuit me hante,
La pluie zèbre la glace, là tout contre mon visage,
En myriades de gouttelettes animées et luisantes,
Comme les clairs-obscurs de Michelangelo Caravage.
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Mon esprit est ailleurs, il erre, il vagabonde,
Et je ne sais même plus ce que je suis venu faire
Dans cette mégalopolis inhumaine, nauséabonde,
D' où je m' échappe incognito et solitaire.
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Mais où vais-je donc ainsi, fuyant je ne sais quel chagrin ?
Où va donc ce train crachant le feu et la vapeur ?
Vers quel lieu me mène cette voie ferrée sans fin ?
Personne ne m' attend là -bas, moi l' anonyme voyageur.
Â
Je me laisse bercer par la mélodie syncopée des boggies
Qui convie mon corps et mon esprit à s' abandonner.
Je vais vers mon destin, emporté vers d' autres tragédies
Par ce monstre hurlant que rien ne pourra arrêter.
Â
Jean-Claude Fissoun