Au soir d’un grand froid en pays de Tardoire,
Boniface, le commerçant, s’en retournait en sa borie.
Traversant le gué où pieds gelaient de ne point boire,
Un baudet l’accompagnant lui tint langage avec rouerie.
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« Mon maître, tu es de ceux que l’on connaît
Comme boit cul-sec et fier pisse-vin.
Mais sais-tu qu’en ville femme riche vit à t’espérer
Comme homme envoyé du simple divin ? »
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« Ah bon ? répondit l’homme tout enorgueilli.
Mais de toutes les femmes qui m’ont voulu,
Je n’en connais point qui fut enrichie !
Et qui voudrait d’un âne aviné, que moi, aussi velu ? »
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« Mais, mon bon maître, répondit l’animal,
Elle sait tes poils comme ceux d’homme d’honneur et de labeur.
Ses comptes feraient de toi l’un des plus riches du val !
Et tu pourrais faire élevage avec bonheur ! »
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« Dis-moi, baudet ! De quel bonheur parles-tu ?
Nourrirais-tu dessein de me voir chef de harde ?
Sache que, seule prendrai-je femme de vertu
Qui me donnera pour dot bonnes vignes sans échardes ! »
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« Mon bon maître ! Je te sais bon comptable et fin commerçant.
Son ânesse est capable de charrier double de moi en ses paniers.
Laisse-moi conseiller cette femelle de qui ta future femme dépend,
Et je te fais promesse de voir enfanter vignes et deniers. »
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Sur ce, après moult approches, à sa promise Boniface conta fleurette.
Tandis que le baudet, sûr de son fait et sans scrupule aucun,
Entreprenant, s’enquit du bien-être de l’ânesse jeunette,
Laissant ainsi son maître espérer, pour lui de même, un avenir commun.
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Une fois le baudet délivré de ses humeurs et faisant bourse nouvelle,
Celui-ci tourna la croupe et revint sur les terres de son ami.
Pendant ce temps, le commerçant perdit patience de prendre sa belle,
Lors, il s’en retourna en sa borie, la bourse pleine mais non enrichi.
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