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Un jour j’ai rencontré un vieil homme décharné. Captant de ses larmes mon impossible émoi le vieil homme entama un curieux monologue :
« Dépouille-toi de tes mots, ceux que tu croies si beaux, ils te conduisent au tombeau. Tes alexandrins, fais-en un tas de foin et craches- y ton dédain. Tes rimes sublimes, jette-les dans l’abîme avant qu’elles ne t’abîment. Cesse de pétaler les fleurs et de craticuler les femmes. Renonce aux arcs-en-ciel tricotés tout à l’envers. Déserte le kaléidoscope de tes soliloques.
ÂApproche-toi petite, oui, là mets-toi là bien face à moi.
Oui, bien face à moi, déshabille-toi, sois nue, entièrement nue, de tes rides abandonne le fard, ôte-moi ce vernis qu’éclabousse de froideur la lumière des ailleurs, griffe ta douceur de quelques odeurs que subodore encore ton cœur.
ÂEt maintenant, ferme les yeux, cherche au fond de toi la corde si fragile, tu la connais, la protèges et la caches encore.
ÂNon, ce n’est pas le Do, le Do n’est là que pour se lever et se coucher, aussi prétentieux que le soleil avant l’aurore.
Le Ré ? Non, son rayonnement est bien trop facile.
Le Mi ? Sans risque.
Le Fa ? Fade.
Le Sol ? Ce pourrait être lui, il est là , il te retient, tu le laisses échapper et peut-être tu meurs…
Le La, trop commun.
ÂTu commences à deviner, oui, fais vibrer le Si, le Si de tous les dangers, le Si le passé dépassait le futur, dévastant au passage ton seul présent. Le Si si acéré, le Si si tout et aussi si rien.
ÂAllez, fais le encore vibrer, encore, encore, et encore, encore plus, encore plus…
ÂIl va casser ?
 Alors peut-être de ta plume jaillira une larme… »