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VIII Saint-François d’Assise et les oiseaux

J’étais émerveillée aussi par la fragile beauté des petits moineaux, qui dans leur humble robe de bure brunâtre striée de noir comme celle du Poverello qui, dit-on, parlait leur langage, venaient picorer à ma table de petites miettes de pain ! Leur stratégie d’approche et de recul, d’avancée et d’esquive, leur peur d’être pris comme des garnements qui chapardent des bonbons dans un magasin, leur retour à l’assaut dans une obstination farouche, m’émouvait comme la simplicité des petits enfants lorsqu’ils tournent autour d’un manège et rient à gorge déployée en tentant d’attraper un anneau ou une peluche ou une poupée de chiffon et l’attention, le sérieux qu’ils mettent dans le jeu, leurs efforts réitérés même s’ils ne sont pas couronnés de succès est l’image même de la vie, les adultes ne jouant qu’à des jeux plus dangereux, plus risqués dans lesquels ils doivent faire preuve de tout leur courage, de toute leur intelligence, de toute leur volonté.

Les oiseaux éveillaient en moi le sentiment de la beauté par la liberté avec laquelle ils fendaient l’espace à toutes profondeurs vers des horizons lointains, par leurs chants et par leurs couleurs. C’étaient pour moi des créatures harmonieuses par leur goût de l’infini et leur sens de la musique et parce qu’ils apportaient au monde une touche de beauté. Lorsque je m’éveillais, je voyais parfois sur le rebord de ma fenêtre deux colombes particulièrement gracieuses, l’une, ce devait être le roi, était entièrement noire avec une encolure verte et mauve tandis que la reine à la robe entièrement blanche était maculée de taches roses et jaunes. Ils étaient splendides ces oiseaux, comme un prince et une princesse de la couronne dont la démarche souveraine et le dédain, conformément à leur rang, de toute nourriture, que leurs sujets, au contraire, à la manière des petits moineaux, avalent gloutonnement, sans se soucier de leur laisser quelques restes, éveillaient mon admiration. Ces oiseaux étalaient sous le regard, comme sur un éventail les figures colorées, la palette de leurs tons nuancés, leur beauté princière.

Je trouvais beaux aussi ces paons au plumage d’un bleu qu’il est impossible de décrire tant il est lumineux, chatoyant et profond et cette queue dans des tons verts et violets qui lorsqu’elle se déploie semble vous regarder avec des yeux ronds sans regard, que j’avais vus au parc de Bagatelle lors d’une promenade au milieu de la verdure et des roses, un après-midi d’été. Ils semblaient aussi princiers ces oiseaux, royaux, vénérables comme d’antiques momies avec leur port altier, leurs yeux qui vous toisent, leur tête qui se lève et s’incline à chaque pas. Ils paraissaient jeter à la ronde un regard de souverain mépris laissant sous-entendre que vous n’étiez pas à leur hauteur, vous qui passiez dans ce lieu retiré parce qu’ils faisaient eux partie du paysage, étaient les dépositaires de sa beauté intangible. J’avais tenté de peindre leur robe de satin sur mon carnet, une nuit, et cet oiseau faisant la roue s’était métamorphosé en un arbre aux branches recouvertes de fleurs, à la ramure circulaire, les yeux du plumage avaient pris l’allure d’une floraison aux teintes pastel puis je l’avais posé sur mon piano définitivement abandonné en guise de partition florale.

J’aimais aussi me promener dans le parc zoologique du Jardin des Plantes, pour y contempler les oiseaux exotiques, les flamands roses, les aras, les toucans et les perruches. Je prenais un carnet à dessin et j’essayais de saisir une position, un envol, un essor. Parfois je reprenais mes dessins et recouvrais le papier de couleurs à l’huile. Les couleurs de ces oiseaux sont merveilleuses, vives et lumineuses et ressemblent à celles des fleurs. On dirait un bouquet de fleurs printanières, comme celles que je cueillais lorsque, enfant, je passais mes vacances dans le Jura, on dirait une explosion d’étincelles. Les flamands roses ont une couleur rose orangée comme celle de la nacre brillante dans une huître perlière et je passais des heures à les regarder se mouvoir, perchés pensivement tantôt sur une patte, tantôt sur l’autre, à essayer d’en faire le croquis, tandis que des familles passaient autour de moi. Les perruches, elles, d’un vert profond, assises sur une branche et enlacées comme des amoureux transis, se donnaient de petits coups de bec comme, semblait-il, pour s’embrasser et me faisaient l’impression d’être indifférentes aux « regards obliques des passants honnêtes ». Quant aux aras, bleus comme les mers du sud tandis que leur tête était d’un jaune orangé, leur beauté détonnait avec leur voix, si rauque, si éraillée que j’avais plaisir à les contempler mais non à les entendre contrairement au concert des oiseaux à ma fenêtre lorsque j’étais à la campagne, tel le choeur des Anges, à la ville, on ne l’entend pas, le chant des oiseaux est couvert par les bruits des voitures, par le trafic incessant, mais c’est si beau un oiseau, lorsqu’il fait entendre sa musique intérieure, sa voix, sa partition. Le chant de l’alouette des champs à l’aube qui grisolle, tirelire, turlute avec des trilles et des tremolos dans la voix comme dans le Saint-François d’Assise prêchant aux oiseaux de Liszt où les notes de musique très aiguës ruissellent comme l’eau d’une cascade et scintillent comme le miroir d’un étang, on les entend monter dans un mouvement ascendant puis redescendre comme des trains fantôme - on entend les répétitions et les dissonances d’une musique presque atonale – ce chant, je ne l’ai jamais entendu, comment serais-je poète ? Oui, comment peut-on être poète et citadin ?

Claire d'Orée


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  • Tétanisante inertie
    28.05.2020 12:18
    procrastination ?
     
  • Larme...
    28.05.2020 12:17
    je pense que je voulais dire un truc spéciale... caché... intrigant :-)
     
  • Larme...
    28.05.2020 12:15
    bah en fait je ne sais même plus ce que voulais dire !! lol :-) en tous cas attristés prend ées :-)
     
  • Haïku doré
    26.09.2012 16:01
    Bon Jour, Ciel, Si je puis me permettre, en toute amitié: 5/7/5 Vaste champ d'épis - Mot de saison ...
     
  • Lettre par Aurore Dupin
    23.09.2012 10:27
    aurore Dupin est le vrai nom de George Sand, elle a envoyé cette lettre à Alfred de Musset... je vous ...