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Catégorie parente: Cercle des poètes inconnus
Catégorie : La mort
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-Ferme les yeux.

(Silence)

Que vois tu ?

 

-Je vois du noir.

 

-Est-ce tout ?

 

-Oui.

(Silence)

 

-Est-ce vraiment tout ce que tu vois ?

Du noir, pas plus ?

 

-Un ciel, une terre, un océan. Tous noirs, sans aucun trait pour les distinguer les uns des autres. Du noir qui noie l'horizon noir.


-...

Mais au-delà de tout ça ?

 

-Moi. C'est moi même que je vois, dans un néant vaste et noir.

 

-Un peut d'effort, je suis sûr que ton imagination te montrera bien plus.

 

-Il ne s'agit pas d'imagination.

 

-Bien sûr que si. Tes yeux étant fermés, tes souvenirs, tes sentiments, tes désirs, tes rêves, ainsi qu'en somme ton vécue et ta personnalité arrivent à former l'alchimie imaginaire qui se sert de ces expériences comme palette de couleurs. Et ce noir, elle le peint en des tableaux singuliers.


-Je sais ce qu'est l'imagination. Ce n'est cependant pas d'elle qu'il s'agit. Lorsque je ferme les yeux, je ferme les fenêtres que j'ai sur le monde et s'éclaircit ainsi la lumière intérieure. La conscience. Et cette lumineuse conscience pénètre l'espace-temps comme l'eau ruissèle entre les mailles de l'armure.

 

-Et c'est là que ton imagination prend le contrôle du reste. C'est ce que je disais... en d'autres termes.

 

-Non. Non. C'est là que l'éveil surgit. Maintenant que la lumière éclair les moindres recoins, ce n'est pas l'imagination qui intervient, mais ta réflexion sur ta propre condition (et suivent ainsi l'angoisse ou la quiétude, la dysphorie ou l'apaisement...). Ce que tu vois, lorsque les paupières sont posées sur le liquide de l'œil, c'est ce que tu verra encore et encore jusqu'à... Tu ne vois plus de l'œil de celui qui observe depuis un donjon, confortablement installé en lui même avec la certitude inavouée qu'il est le soleil, centre gravitationnel de ce qui l'entour. Les fenêtres fermées ont du côté intime des miroirs. Des miroirs où l'on voit son véritable reflet comme dans les miroirs du Moyen-Âge. Comme dans une petite marre verdâtre où un rochet est jeté et dont les algues recouvrent les frontières, la limite. La surface. L'instabilité de l'eau ne permettant pas de distinguer clairement les traits, ce n'est plus qu'une image qui vacille traversée par des rides circulaires. Circulaires: ce n'est pas un hasard.

 

-Je vois, je vois. Et...que vois tu dans ce que tu nommes « miroirs où l'on voit son véritable reflet » ?

 

-Le noir. L'éternelle pénombre jusqu'à la fin du commencement.

Les yeux fermés de l'aveugle trompé et la vue lucide du conscient.

Et dans le silence de l'âme hébétée

De tes yeux tu entends les pierres par les pas foulées.

Les bras qui te longent et les mains ouvertes.

Tu en es conscient ce n'est pas un songe, mais tu restes inerte

L'odeur de la terre qui, de sa matière, à jamais t'enlace

Les caresses des vers qui, dans leur nouvelle demeure, se prélassent

Quand ton corps embaumé n'aura plus que la forme d'une serrure

Dont la clé de la sur-vie n'est autre que tes actes

Lorsque ton âme frissonne dans le froid de la tombe

De la chaleur étouffante que lui offre la solitude

Face à elle l'ignoble visage de ses turpitudes

Le temps n'est plus et pourtant qu'il est lent

De le dérégler tu rêves, revenir tu espères

Mais trop tard, tu savais pourtant que vie et corps sont éphémères.