Philis, qu’est devenu ce temps
Où, dans un fiacre promenée,
Sans laquais, sans ajustements,
De tes grâces seules ornée,
Contente d’un mauvais soupé
Que tu changeais en ambroisie,
Tu te livrais, dans ta folie,
A l’amant heureux et trompé
Qui t’avait consacré sa vie ?
Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous trésors,
Que les agréments de ton âge,
Un coeur tendre, un esprit volage,
Un sein d’albâtre, et de beaux yeux.
Avec tant d’attraits précieux,
Hélas ! qui n’eût été friponne ?
Tu le fus, objet gracieux !
Et (que l’Amour me le pardonne !)
Tu sais que je t’en aimais mieux.
Ah ! madame ! que votre vie
D’honneurs aujourd’hui si remplie,
Diffère de ces doux instants !
Ce large suisse à cheveux blancs,
Qui ment sans cesse à votre porte,
Philis, est l’image du Temps ;
On dirait qu’il chasse l’escorte
Des tendres Amours et des Ris ;
Sous vos magnifiques lambris
Ces enfants tremblent de paraître.
Hélas ! je les ai vus jadis
Entrer chez toi par la fenêtre,
Et se jouer dans ton taudis.
Non, madame, tous ces tapis
Qu’a tissus la Savonnerie,
Ceux que les Persans ont ourdis,
Et toute votre orfèvrerie,
Et ces plats si chers que Germain
A gravés de sa main divine,
Et ces cabinets où Martin
A surpassé l’art de la Chine ;
Vos vases japonais et blancs,
Toutes ces fragiles merveilles ;
Ces deux lustres de diamants
Qui pendent à vos deux oreilles ;
Ces riches carcans, ces colliers,
Et cette pompe enchanteresse,
Ne valent pas un des baisers
Que tu donnais dans ta jeunesse.
Â
voltaire